Les femmes syriennes - entre choix et contrainte
Dans le contexte des communautés syriennes, lors de l'examen des normes sociales liées aux problèmes des femmes, il faut d'abord préciser qu'il existe une diversité de considération et une fluidité dans les normes sociales entre les différentes communautés syriennes qui composent le tissu de la société syrienne dans son ensemble . Cependant, dans le contexte spécifique de cet article, on peut dire qu'en général, une femme syrienne typique n'est pas socialement censée diriger le ménage, ni agir comme soutien de famille. C'est le cas aussi dans la plupart des communautés syriennes basées dans les zones rurales, ainsi que dans de nombreux ménages syriens conservateurs, quel que soit le clivage urbain-rural. En ce sens, les responsabilités sont normalement partagées entre la femme et l'homme, l'homme devant supporter les charges financières et la femme s'occuper des tâches ménagères et de l'éducation des enfants.
Cependant, à l'instar des nombreux changements que la société syrienne a connus en raison des conditions liées à la guerre, y compris les meurtres, les arrestations arbitraires et les déplacements forcés, ainsi que les médias sociaux en termes de sensibilisation, il est facile de remarquer que la situation des femmes syriennes a radicalement changé au cours des dix dernières années. Des centaines de milliers de femmes syriennes se sont retrouvées avec un nouveau rôle et un nouveau titre, chargées de responsabilités qu'elles n'avaient jamais assumées auparavant.
Des études confirment que ces dernières années, de plus en plus de femmes syriennes ont assumé de plus grandes responsabilités au sein de leur foyer. En effet, le pourcentage de ménages dirigés par une femme en Syrie est passé de 4,4 % en 2009 à 22,4 % en 2021, ce qui se traduit par plus de 4,5 millions de personnes en Syrie qui sont nourries par une femme, selon les dernières statistiques du Fonds des Nations Unies pour la population.
Néanmoins, il est crucial de souligner que le travail d'une femme ou la responsabilité de subvenir aux besoins de sa famille n'est pas un problème en soi. Le problème est plutôt que les femmes devraient toujours avoir le droit de choisir la voie qu'elles empruntent, que ce choix soit de devenir une femme qui travaille, une femme au foyer ou quelque chose entre les deux. En effet, les travailleuses syriennes ont fait et continuent de faire des sacrifices incommensurables qui méritent toute notre appréciation, nos louanges et notre soutien. Cela est particulièrement vrai compte tenu du fait que des centaines de milliers de femmes syriennes déplacées de force vivent dans des conditions difficiles dans des camps de fortune de déplacés internes dans le nord de la Syrie, ainsi que dans des camps de réfugiés de fortune au Liban, en Jordanie et en Turquie. Pour des raisons qui varient d'un cas à l'autre, plusieurs de ces femmes n'ont pu obtenir un diplôme d'études collégiales ni même un diplôme d'études secondaires. En réalité, le cas est que souvent, les femmes qui se sont retrouvées en position de diriger le ménage et de gérer son fardeau financier, n'ont pas eu la possibilité d'obtenir une formation professionnelle et continuent de n'avoir aucun système de soutien ou un endroit sûr où faire garder leurs enfants pendant les heures de travail. À l'occasion de la #JournéeInternationaleDeLaFemme, nous aimerions faire la lumière sur certaines histoires que nous avons rencontrées dans le cadre de notre travail, qui prouvent ce que tout le monde sait déjà - les femmes syriennes méritent toute l'appréciation et le soutien qui existent, et surtout, elles méritent des réalités bien meilleures que celles qu'elles sont obligées de supporter.
Najlaa est une jeune femme syrienne qui n'a pas eu beaucoup d'options. Lorsque son père a été tué, elle s'est enfuie, avec sa mère et ses sœurs de leur maison et s'est retrouvée dans une tente qui n'offre aucune protection contre les intempéries hivernales et estivales. À l'époque, Najlaa était une fille de 15 ans qui voulait juste aller à l'école et voir ses amis, quand sa mère a estimé que sa seule issue était de la marier. Finalement, Najlaa est devenue mère de deux enfants avant même d'avoir 18 ans. Malheureusement, l'histoire de Najlaa n'est pas exceptionnelle.
D'autre part, Khadija est une réfugiée syrienne dont le mari a disparu. En racontant son histoire, la femme endeuillée a déclaré : "J'ai quitté ma maison avec rien d'autre que mes enfants et les vêtements que j'avais sur le dos. Je ne sais pas où est mon mari". Khadija vit dans les camps de réfugiés d'Arsal et n'a pas eu l'occasion de terminer ses études universitaires en raison de son statut de réfugiée syrienne vulnérable au Liban. Malheureusement, la femme n'a pas réussi à trouver un emploi pour subvenir aux besoins de ses enfants. Bien que Khadija ait reçu une formation professionnelle dans l'industrie de la couture pendant trois mois, elle n'a pas réussi - pour des raisons apparentes liées à son statut de réfugiée - à transformer sa formation en subsistance pour ses enfants. Après des années de pauvreté et de dépendance à l'égard de l'aide humanitaire, elle a finalement décidé de faire du baby-sitting, dans sa tente misérable, pour les mères qui travaillent, ce qui en faisait sa première expérience professionnelle, grâce à laquelle elle pouvait enfin subvenir aux besoins de ses enfants, dépendre d'elle-même et briser le cycle des besoins.
Quant à Warda, comme elle préfére se faire appeler, la jeune femme s'est mariée à l'âge de quinze ans, et a été abusée à plusieurs reprises par son mari qui a 10 ans de plus qu'elle, et qui se soucie peu qu'elle soit surchargée de tâches ménagères et par les enfants. Lorsque nous lui avons demandé comment les choses s'étaient passées, Warda a répondu : "J'apporte un jouet à mon enfant, puis je joue avec lui. Comment expliquer à mon mari que je suis toujours intéressée par de telles choses et que ce que je veux, c'est retourner à l'école, et ne pas me limiter à être une mère au foyer, qui ne fait que nettoyer et s'occuper des enfants ?"
Sur une note plus positive, Johaina est une jeune femme qui a perdu son père à cause d'un bombardement aérien sur leur ville, en 2014. Le même jour, elle a subi une grave blessure à la jambe, et plus tard la famille a été déplacée de force vers Idlib, suite à la perte de tous les hommes de la famille. Au mépris de toutes ces circonstances insupportables, Johaina n'a pas abandonné et a fait preuve d'une grande détermination, de résilience et d'un travail acharné. La jeune femme a poursuivi ses études universitaires avec le soutien du programme d'éducation de l'équipe Molham et est maintenant enseignante à plein temps dans une école d'Idlib et soutien sa famille financièrement, pour ses quatre frères et sœurs plus jeunes.
Outre la vulnérabilité, le déplacement et les difficultés financières, plusieurs autres défis viennent à l'esprit lorsque l'on aborde la situation des femmes syriennes au cours de la dernière décennie. Pour donner un aperçu du fonctionnement de l'équipe Molham, nos responsables sur le terrain procèdent régulièrement à une évaluation régulière des besoins dans les camps de fortune du nord de la Syrie. En conséquence, nous adaptons les campagnes que nous lançons et les projets que nous concevons de manière à répondre aux besoins spécifiques des habitants ciblés. Pour en revenir aux problèmes des femmes, lors des visites de terrain dans les camps de fortune d'Idlib et de sa campagne, les difficultés que rencontrent les femmes dans leurs activités quotidiennes sont régulièrement observées et notées. En effet, dans ces zones surpeuplées, les installations sanitaires sont partagées par tout le monde et les tentes sont généralement adjacentes les unes aux autres, empêchant un accès adéquat à des toilettes saines et privées pour les femmes, qui sont vulnérables aux risques sanitaires, en particulier pendant les menstruations. On peut dire sans risque de se tromper que les conditions sanitaires globalement inadéquates dans les camps de fortune de ces zones entraînent souvent des infections et des maladies que les femmes auraient pu facilement éviter si seulement elles vivaient dans un monde où l'accès à l'eau et à l'assainissement était pratiquement garanti. Droit tel que déclaré théoriquement par l'Assemblée générale des Nations Unies en 2010. En réalité, l'accès à l'eau et à l'assainissement est une question que de multiples organisations non gouvernementales internationales "ONG" soutiennent en fonction de commodités et de considérations qui n'ont pas grand-chose à voir avec les habitants ciblés. Cela dit, il est nécessaire de continuer à souligner l'importance de l'accès des femmes syriennes déplacées à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène, ce qui contribuerait à les aider à retrouver leur bien-être et leur confiance en elles.
N'ayant jusqu'ici abordé que les problèmes des femmes, il nous incombe d'affirmer que les récits relatés dans cet article visent à faire la lumière sur les défis des femmes syriennes, sans minimiser ceux endurés par d'autres membres de la société qui sont également contraints de vivre dans les camps de personnes déplacées et de réfugiés, c'est-à-dire enfants et hommes. Il est vrai qu'une grande partie des difficultés endurées par les personnes déplacées qui se sont retrouvées dans des camps de fortune en Syrie sont liées au manque de services et d'installations sanitaires adéquats, en plus du manque d'accès à l'eau potable et aux centres médicaux à proximité. Cependant, le but ici est de souligner que ces défis affectent de manière disproportionnée les femmes, compte tenu du lien que ces défis ont avec des problèmes de santé spécifiques aux femmes, tels que les menstruations, l'accouchement et les examens gynécologiques, ainsi que des considérations culturelles spécifiques aux femmes.
Au fil des ans, l'équipe Molham a régulièrement travaillé sur plusieurs projets visant à combler ces lacunes et à répondre à ces besoins spécifiques, notamment des projets visant à fournir des services sanitaires, l'accès à l'eau et des points médicaux dans des camps de fortune dans le nord de la Syrie. Pourtant, nous sommes convaincus qu'en agissant ainsi, nous avons traité les symptômes et non la cause. Forts de nos +10 ans d'expérience sur le terrain, nous sommes fermement convaincus que comme première étape vers la résolution des nombreux problèmes sociaux et sanitaires auxquels sont confrontées les femmes syriennes, les familles déplacées de force doivent être relogées des camps et abris de fortune dans des maisons décentes où elles profiteront au droit à la vie privée. C'est exactement l'objectif que l'équipe Molham cherche à atteindre à travers son programme d'abris nouvellement créé, en particulier dans sa dernière campagne, #Jusqu'àLaDernièreTente, et c'est exactement là que les ONG internationales devraient commencer à allouer des fonds. Même ainsi, il va sans dire que les problèmes sociaux nécessitent des solutions sociales profondément enracinées, et que tout commence par l'éducation et la sensibilisation à des problèmes tels que la violence domestique et les mariages précoces, et par la correction des croyances de longue date et des normes sociales dépassées.
Il est important de noter ici que nous reconnaissons que parler des rôles de genre traditionnels et des abus domestiques dans les communautés syriennes locales, ainsi que des problèmes liés aux taux de natalité élevés et à la prévalence des mariages précoces dans les camps de personnes déplacées et de réfugiés, risque de perpétuer les stéréotypes sur les femmes syriennes et les femmes musulmanes, tels que décrits par les médias non locaux. Cela dit, nous soulignons que le but de cet article est de mettre en évidence le contexte derrière chaque histoire individuelle et chaque problème social et culturel, et de clarifier la base logique qui a conduit ces femmes, et continue de conduire plus de femmes, à prendre des décisions difficiles et choix, indépendamment de notre opinion personnelle ou de notre attitude envers ces choix et décisions.
Pour conclure, nous tenons à réitérer notre fierté envers toutes les femmes syriennes, qui s'efforcent toujours de rendre la vie possible malgré toutes les difficultés imposées par les gouvernements, les institutions sociales et d'autres parties prenantes. Nous voudrions également rendre hommage aux 28 618 femmes syriennes qui ont perdu leur droit à la vie, au rêve et à la capacité de donner et d'apporter leur touche nourricière et empathique aux environnements dont elles faisaient partie. Notre seul souhait est que l'avenir proche apporte une sorte de justice et de réconfort à toutes les femmes syriennes, où qu'elles se trouvent et quel que soit le chemin parcouru dans leur voyage.